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lundi 29 décembre 2014

Le Poison d'amour - Eric-Emmanuel Schmitt

Le Poison d'amour, dont la couverture fait magnifiquement écho à L'Elixir d'amour dont nous avons parlé précédemment met en scène quatre adolescentes, elles ont 16 ans et sont en classe de première : Julia, Colombe, Raphaëlle et Anouchka. Alors que dans L'Elixir d'amour, nous assistions à un échange épistolaire, ici, il n'y a pas d'échange puisque nous lisons le journal intime de chaque jeune fille. Ce changement de procédé a cependant l'avantage, contrairement à la lettre, de nous faire entrer directement dans les pensées les plus secrètes des personnages. Encore une fois, donc, Eric-Emmanuel Schmitt nous place dans une position de "voyeur" afin de décortiquer le sentiment amoureux et, plus précisément ici, ce qui fait que l'amour peut être un piège. Nos quatre jeunes filles n'ont sous les yeux que des exemples de couples malheureux, détruits (à une exception près), comment vont-elles faire, elles, pour échapper à ce poison ? Y parviendront-elles ?

Ce court roman nous permet de poursuivre la réflexion entamée avec L'Elixir d'amour. On pourrait croire l'auteur pessimiste mais je ne pense pas, encore une fois, il faut lire le livre jusqu'au bout pour se faire son opinion. La lecture de ce texte est très agréable, l'écriture de l'auteur est toujours limpide, on tourne les pages sans s'en rendre compte. De plus, j'ai été frappée par la précision, la justesse avec laquelle E.E Schmitt a su retranscrire l'adolescence, j'ai parfois totalement retrouvé l'adolescente que j'étais au détour de certains passages questionnant l'amour et l'amitié.

Au lycée où sont scolarisées ces filles, le professeur de théâtre va monter Roméo et Juliette pour le spectacle de fin d'année, le parallèle est bien sûr fait entre les deux héros mythiques et le questionnement des protagonistes. Une analyse surprenante, mais très intéressante, de la pièce est même faite par Julia, j'en suis restée songeuse ...

Je ne peux que vous encourager à lire le bijou que nous offre (comme toujours) Eric-Emmanuel Schmitt !

Voici un extrait du roman, il s'agit du journal d'Anouchka :

"Ce matin, j'ai profité des trois heures où il n'y avait personne pour m'enfermer dans la chambre des parents et me scruter sur l'unique glace en pied de notre appartement.
Il ne faisait pas froid, cependant, me dénuder en cet endroit où d'ordinaire je circule habillée m'a donné des frissons.
J'ai essayé de m'examiner sans préjugés, je le jure ! Eh bien franchement, en toute impartialité, je ne ressemble pas à ce que j'aime ...
D'abord, j'ai vu une étrangère. La fille aux genoux rapprochés écrevisse, aux bras trop longs, aux seins déséquilibrés, au sexe qu'elle camouflait de ses doigts maigres n'avait rien à voir avec Anouchka, l'Anouchka que je suis, enfin que j'étais, que je connais depuis toujours.
Ensuite, le reflet que j'avais sous les yeux n'évoquait pas une adulte. Oh, j'accepte de quitter l'enfance mais à condition de devenir une femme. Pas ça ! Je m'apparente au chaînon manquant. Ca part dans tous les sens, ça se fout de la symétrie, ça n'est pas harmonieux, ça sent, ça prend des couleurs saugrenues et ça se couvre d'éléments parasites. En résumé, je sécrète du poil, des boutons, de la graisse et des odeurs.
Elle s'enclenche mal, ma vie. Impossible de séduire encombrée d'un corps pareil, même s'il s'arrange un peu ! Mon salut se réduit au dicton qui atteste que "tous les goûts sont dans la nature". Oui, il y aura peut-être un jour un garçon débile qui me trouvera potable... Mais me plaira-t-il ce crétin ? [...]"




samedi 27 décembre 2014

L'Elixir d'amour - Eric-Emmanuel Schmitt

L'élixir d'amour d'Eric-Emmanuel Schmitt fait de nous les lecteurs indiscrets de l'échange par mail qu'entretiennent Louise et Adam. Les deux personnages ont été amants par le passé et ils vivent maintenant à des milliers de kilomètres l'un de l'autre : Louise vit à Montréal et Adam à Paris. Quand Adam contacte Louise, il lui propose une relation amicale que la jeune femme refuse. Les deux personnages correspondent malgré tout et Louise se demande s'il existe, comme dans Tristan et Iseult, un philtre d'amour, autrement dit, s'il existe un moyen de créer l'amour...

Ce bref roman est très prenant. Comme toujours, l'écriture d'Eric-Emmanuel Schmitt m'a emportée dans son univers. Le débat, parfois vif, parfois cynique, parfois d'un pessimisme redoutable, nous amène à réfléchir sur l'amour et plus précisément sur cette chose inexplicable qui fait que deux êtres humains vont tomber amoureux. Certaines phrases m'ont laissée songeuse : "Le dégoût est l'une des formes de l'obsession : on préfère y penser avec malaise que ne pas y penser", "Quand vous ne chercherez plus le bonheur, vous serez exaucée" ou encore "La beauté du premier amour vient de ce qu'il n'est pas encore hanté par sa fin, on y croit le présent éternel, on ignore l'épuisement" ...

Les personnages sont attachants, même si Adam m'a agacée plus d'une fois, la proximité créée par la lecture de ses mails a fait que j'avais l'impression de le connaître. J'ai adoré la position dans laquelle E.E. Schmitt nous place : nous sommes des "voyeurs", lecteurs d'un courrier qui ne nous est pas destiné et j'avais envie de me joindre à la conversation des deux anciens amants.

L'auteur a su jouer brillamment avec le rythme : certains mails sont très courts, voire laconiques alors que d'autres sont bien plus longs. De plus, l'action alterne avec la réflexion sur un rythme qui ne laisse pas le temps au lecteur de s'ennuyer.

Quant à la fin de ce roman ... je n'en parlerai pas, je préfère que vous le lisiez !

Encore une fois, E.-E. Schmitt montre qu'il est un grand, un très grand écrivain.


Voici un extrait de ce roman, il s'agit du début de la première lettre, écrite par Adam :

"Louise,
Si tu m'écoutes, bonjour.
Si tu ne m'entends pas, adieu.
Selon ta réaction, cette lettre constituera le début ou la fin de notre correspondance.
Devant moi, un soleil flétri se lève et je contemple Paris auquel octobre donne la pâleur d'une bête indisposée, tourmentée par les feuilles mortes, incommodée par les circulations tapageuses, avide d'une paix qui tarde. Vivement l'hiver. La langueur de l'été s'efface et la capitale s'impatiente d'obtenir le froid, le sec, le clair. Deux saisons suffisent à une ville, la suffocante et la glaciale.

Louise, transformons notre passion blessée en affection sereine. Crois-moi, durant ces dernières années j'ai apprécié davantage en toi que ta peau, tes cuisses ou nos étreintes, j'ai aussi adoré la femme que tu es, ton intelligence piquante, ta répartie, tes moqueries, tes enthousiasmes. Pourquoi l'éloignement me priverait-il de cette merveille ? Suis-je condamné à te perdre ? Le sexe demeurerait-il l'unique ticket d'accès ? [...]"

Pour notre plus grand plaisir, l'auteur a publié un second livre dans lequel il poursuit son analyse du sentiment amoureux, nous en parlerons la prochaine fois...




lundi 22 décembre 2014

Les Fourmis, Tome 1 - Bernard Werber

Ce roman, publié en 1991, est celui qui a fait connaître Bernard Werber. La genèse de ce roman est en elle-même très intéressante : l'auteur débuta ce premier roman immédiatement après l'obtention de son baccalauréat, il consacra au moins quatre heures par jour à l'écriture. Quelques années plus tard, il entreprit des études de journalisme et rédigea la première version des Fourmis. Lauréat du prix du meilleur jeune reporter de la Fondation News, il obtint une bourse d'étude en 1983, ce qui lui permit d'effectuer un reportage en Côte d'Ivoire sur les fourmis magnans dont il est question dans son roman. Il installa même une fourmilière dans son appartement afin d'étudier le comportement des insectes. Il rencontra l'éditeur Albin Michel en 1990 et celui-ci l'invita à retravailler son manuscrit. En mars 1991, la version finale du roman parait aux éditions Albin Michel après douze ans de travail.

Une histoire de fourmis ? Mais que peut bien nous raconter l'auteur ?

Jonathan hérite de la maison de son oncle, Edmond Wells, un éminent biologiste et entomologiste. Il s'installe avec sa famille. Tout pourrait aller pour le mieux mais deux mystères viennent occuper les esprits des nouveaux habitants : pourquoi l'oncle Edmond leur a-t-il interdit de descendre dans la cave ? et quelle est la résolution de l'énigme suivante : "comment réaliser quatre triangles équilatéraux avec six allumettes ?"
Parallèlement à cette histoire, nous faisons connaissance avec des personnages peu communs : des fourmis. L'une d'entre elle propose à la 327e mâle de partir en chasse mais l'expédition ne se déroule pas comme prévu : de nombreuses fourmis meurent foudroyées mais pas la 327e mâle qui doit alors avertir les autres du danger.

Ce roman est extrêmement original à plusieurs titres : tout d'abord, évidemment, les personnages sont hors du commun, j'ai déjà lu des romans ayant pour héros des souris ou des chats, mais jamais d'insectes. De plus, l'auteur a accompli un travail d'observation et de documentation titanesque et cela se voit, on apprend un tas de choses sur les fourmis, leur vie, leur société... Enfin, le texte est parsemé de réflexions sur l'Homme, la vie, les relations humaines, j'ai bien aimé par exemple celle-ci : "Il n'y a pas de meilleure technique de combat que celle qui consiste à attendre que ton adversaire se détruise tout seul." ... à méditer ...
Je dois toutefois avouer que, même si je reconnais que ce roman est novateur et qu'il est bourré de qualités, la magie n'a pas opéré, je me suis ennuyée et c'est la seconde fois avec Bernard Werber ces derniers temps (La Troisième humanité m'avait aussi déçue). La raison ne vient pas du thème mais simplement du fait que les remarques scientifiques ainsi que les descriptions de combats ne sont pas ma tasse de thé, de plus, l'écriture ne m'a pas éblouie ... Malheureusement, je n'ai pas envie d'aller plus loin dans l'univers de cet auteur.

Voici un extrait situé dans les premières pages du roman, il s'agit de la description du 327e mâle :

"Parmi les douze fourmis éveillées figure un mâle reproducteur. Il est un peu plus petit que la moyenne de la population belokanienne. Il a des mandibules étroites et il est programmé pour ne pas vivre plus de quelques mois, mais il est aussi pourvu d'avantages inconnus de ses congénères.
Premier privilège de sa caste en tant que sexué, il possède cinq yeux. Deux gros globuleux qui lui donnent une large vision à 180°. Plus trois petits ocelles placés en triangle sur le front. Ces yeux surnuméraires sont en fait des capteurs infrarouges qui lui permettent de détecter à distance n'importe quelle source de chaleur, même dans l'obscurité la plus totale.
Une telle caractéristique s'avère d'autant plus précieuse que la plupart des habitants des grandes cités de ce cent millième millénaire sont devenues complètement aveugles à force de passer toute leur existence sous terre."

dimanche 7 décembre 2014

Marcovaldo ou les saisons en ville - Italo Calvino


Marcovaldo est manœuvre, il vit dans le nord de l'Italie avec sa femme et ses enfants dans un grande ville. Nous sommes dans les années 1950-1960. Le problème, c'est que Marcovaldo déteste la vie urbaine, il préfère la nature et est toujours à l'affut de champignons, bécasses au milieu de ce paysage gris et anguleux. Ce recueil de 20 nouvelles retrace les aventures souvent très drôles de Marcovaldo. Ce personnage tantôt naïf, tantôt maladroit est très attachant. De plus, l'écriture d'Italo Calvino réussit le tour de force d'être à la fois poétique mais en même temps très accessible. C'est un recueil que l'on peut apprécier à partir de 10-12 ans je pense. Les plus grand pourront percevoir une critique de la vie en ville dans laquelle les hommes, privés de la nature vivent dans l'ennui et la frustration.

Dans la première nouvelle, Marcovaldo découvre de minuscule champignon sur le bitume. Il n'en croit pas ses yeux et espère qu'ils vont grossir afin d'en faire un bon repas pour sa famille...

Voici les premières lignes de cette nouvelle :

" Printemps
1. Des champignon en ville
 
Venant de loin, le vent apporte à la ville des cadeaux insolites que remarquent seuls des êtres sensibles, ainsi en est-il de ceux que le pollen de fleurs de contrées lointaines fait éternuer.
Un jour, sur le bord de la plate-bande d'une avenue de la ville, tomba, on ne sait d'où, une volée de spores ; et des champignon y germèrent. Personne ne s'en aperçut, sauf le manœuvre Marcovaldo qui, chaque matin, prenait justement le tram à cet endroit-là."              

Italo Calvino (1923-1985) est un auteur italien, romancier et fabuliste. Il a fait partie de l'OuLiPo et s'est essayé au fantastique. Il a aussi rédigé des ouvrages de théorie littéraire.